Amitié entre neurotypiques et neuroatypiques : mode d’emploi

Par Josée Durocher

L’amitié. On aura beau dire, on aura beau faire… elle occupe une place importante dans nos vies. Souvent, pour les mauvaises raisons puisque les amitiés conflictuelles sont légion. Mais, au détour de certaines rencontres, il nous arrive de tomber sur des gens vraiment intéressants, décidemment très gentils et charmants. On tombe souvent alors en amitié et pour longtemps, voire tout le temps!

Pour la neuroatypique que je suis, l’amitié, souvent, m’est très pénible à vivre. Ou devrais-je dire qu’elle m’a été pénible à vivre pendant longtemps. En fait, cela a été très difficile et exigeant pour moi jusqu’à mes quarante-sept ans.

Étant Asperger, j’ai toujours eu beaucoup de mal à entretenir mes amitiés. Il y avait toujours une des deux personnes qui s’investissait plus que l’autre dans la relation. Et c’était souvent moi.

Sachant que pour les neurotypiques, les relations amicales sont parfois de véritables contrats (rires), je téléphonais, je rendais visite, je m’informais et je partageais ce que je pouvais pour aider l’autre. C’était des efforts constants de ma part et l’autre, justement, ne semblait pas en faire autant.

Un jour, essoufflée d’aimer à ce rythme avec peu d’investissement de temps de la part de certains amis, je coupais la relation. Ou pire, on la coupait (c’est moi qu’on coupait) pour faute d’avoir trop essayé.

Bref, je n’y comprenais absolument rien. Alors quand j’ai su que j’étais Asperger, plus tôt cette année, j’ai fait un lien direct entre mon autisme et ce qui semblait être mon incapacité à entretenir des amitiés avec les neurotypiques.

Mais, à bien y penser, malgré le fait que je croyais désormais que j’étais incapable d’avoir de telles relations, un prénom me revenait sans cesse en tête comme le refrain d’une chanson favorite.

Karine
J’ai fait la connaissance de mon amie Karine il y a deux ans. J’étais à mettre sur pied un magazine web et elle m’avait gentiment offert sa participation à ce projet. Dès que nous avons échangé ensemble, j’ai été soufflée par la sensibilité de cette fille-là qui était d’une douceur incomparable. Et de la douceur, je n’en ai pas eu souvent dans ma vie!

Elle habite Trois-Rivières et moi Longueuil. En deux ans, nous nous sommes rencontrées deux fois seulement. Mais pourtant, j’ai cette absolue conviction qu’elle sera toujours là. Cette amie me rend la vie plus belle et je l’en remercie pour ça.

À l’annonce de mon diagnostic d’Asperger, Karine n’en a pas fait de cas. Pour elle, c’était comme si je lui annonçais que j’avais les yeux bleus. J’ai su que si j’acceptais Karine dans ma vie, je devais ne pas brandir d’étiquettes devant ses yeux à elle.

Elle n’a pas changé d’attitude avec moi non plus. C’est la même Karine depuis mon diagnostic qu’avant celui-ci. Et plus j’y pense et plus je crois que nous sommes toutes deux à un moment de notre vie où nous avions besoin l’une de l’autre.

Mode d’emploi
L’amitié, la vraie, exige qu’on soit humble, patient, admiratif, heureux pour l’autre et avec l’autre, empathique, compréhensif, doux, gentil, aimant aussi. L’amitié nous permet d’avoir une épaule sur laquelle se déposer et pleurer ou d’avoir un sourire franc aux heures de grands événements.

Ce n’est pas compliqué comme je le croyais auparavant. Avec Karine, je n’ai pas l’impression de faire des efforts pour être en relation avec elle et je ne crois pas qu’elle en fasse non plus. Elle, même si elle n’aime pas les étiquettes, est neurotypique et moi, neuroatypique et nous nous entendons à merveille!

C’est une amitié forte puisque rien ne viendra lui déclarer la guerre. L’amour pur existe et c’est ce que nous ressentons l’une pour l’autre.

C’est drôle, il m’arrive quelques fois de penser à nous deux… à Karine et à moi et à ce lien spécial qui nous unit. Elle, dans sa ville de Trois-Rivières et moi, dans ma ville de Longueuil, nous nous verrions demain matin que nous serions toutes les deux des plus à l’aise, chose que je ne peux pas prétendre avec tout le monde, sachez-le.

C’est peut-être Karine qui a raison après tout : neurotypique ou neuroatypique… ce ne sont que des mots. Car, dans ma relation avec elle, mes différences sont tellement acceptées que nous n’en faisons pas de cas. Elles font partie de mon unicité, tout simplement. Comme sa tignasse rousse toute emmêlée les jours de vents ou comme son sourire d’enfant dans une tempête de neige.

L’amitié entre neurotypiques et neuroatypiques se peut. Si on oublie un instant tous ces mots qui nous déterminent et si on embrasse l’autre sans jugement et globalement.

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