Atypique
Par Josée Durocher
Depuis 6 mois, nous savons que mon fils de 27 ans est autiste Asperger. Pourtant, je sais depuis toujours qu’il est différent… atypique.
Même lors de ma grossesse, tout était différent. Mais jamais, non, jamais, je ne me serais doutée de son autisme. Atypique est un mot qui désigne ce qui n’est pas comme le reste. Atypique est un qualificatif qui le suivra désormais toute sa vie telle une étiquette qu’on ne peut enlever, gratter, décoller…
Non, nous n’avions pas besoin d’un diagnostic pour nous apprendre que bien des choses étaient atypiques chez lui, mais le diagnostic a permis à mon fils de s’ouvrir sur une réalité qui lui était inconnue, sa réalité.
À moi, il m’a permis de le connaître davantage. Oh, j’ai bien des croûtes à manger avant de tout connaître de l’autisme, mais apprendre sur le sujet ouvre une toute nouvelle fenêtre là où j’étais convaincue qu’il n’y avait qu’un mur.
Certaines questions sont ainsi devenues superflues, comme me demander pourquoi il était toujours vêtu de la même manière et qu’il n’acceptait aucun compromis vestimentaire. Ses jeans un peu trop amples, un T-shirt et une veste à capuche me font penser à un uniforme dont il ne peut déroger sous peine d’être inévitablement mal à l’aise.
La vérité, juste la vérité est un peu comme une ligne droite à suivre pour lui aussi, à défaut de quoi il sera tellement anxieux qu’on aura l’impression qu’il a commis un crime épouvantable.
Du coup, l’authenticité — sans aucun filtre s.v.p. —, si elle est une qualité que beaucoup d’entre nous veulent atteindre, devient rapidement un défaut aux yeux des gens lorsqu’il s’agit de lui puisqu’il ne la porte pas avec des gants blancs.
La logique, tout ce qui est logique devient insupportable quelquefois pour certains puisqu’il a si souvent raison qu’on ne peut lui en faire voire de toutes les couleurs… mêmes les plus belles.
Et s’il n’y avait que ça ! Mon fils n’est pas accoutumé à toute la gamme des émotions. Il y a le blanc, il y a le noir et entre les deux, toutes les teintes, même si elles se bousculent dans son cœur, il ne les reconnaît pas.
Mais, vivre avec un autiste Asperger, même si la plupart du temps les gens, lorsqu’ils l’apprennent me font une moue qui a l’air de dire que ce n’est pas drôle, pour moi, n’est pas la mer à boire.
Oui, je sais, j’écris beaucoup sur le sujet. J’ai besoin, comme pour toute autre chose, de ventiler le trop-plein de temps en temps. Mais s’il est vrai que je pleure quelquefois en signant certains textes, il est aussi très vrai que je suis remplie d’une rare fierté à la rédaction d’autres textes qui parlent, eux aussi, d’autisme.
Car oui, je suis très fière de mon fils. Par exemple, il a décidé de laisser passer l’été pour tenter de socialiser avec les gens davantage dès l’automne. Et s’il a su qu’il était Asperger en janvier dernier et qu’il n’attend que septembre pour prendre le taureau par les cornes, c’est simplement parce qu’il a besoin de temps.
Au fait, il a toujours eu besoin de temps pour s’adapter aux nouveautés. Certains le trouvent lent, moi je le trouve stratégique. Parce qu’il prend toujours son temps, non, par paresse ou désintéressement comme on pourrait le penser, mais juste pour apprivoiser le changement.
Et le fait qu’il soit catégorique dans sa forme de pensée n’est pas non plus pour me déplaire. Avec lui, je sais toujours à quoi m’en tenir. S’il dit que c’est oui, c’est oui et s’il dit que c’est non, c’est non.
Il n’aime pas le toucher. J’avoue que je n’ai pas encore fait la paix avec ça. Ne jamais pouvoir prendre son enfant dans ses bras, peu importe son âge, c’est plutôt difficile pour moi. Oh ! Si je le fais, il ne m’en tiendra pas rigueur, non. Mais il ne se sentira pas bien. Alors, je m’abstiens.
Il n’aime pas les hypocrites non plus. S’il entend quelque chose sur quelqu’un, il déballera tout, sans nuance et sans compromis. Sa loyauté envers la vérité est plus forte que tout.
Il n’a d’empathie que pour ceux et celles qu’il respecte. D’un côté, je suis heureuse d’être respectée, mais d’un autre j’ai du mal à comprendre tout cela.
Être mère d’autiste, c’est un monde en soi. Mon fils est un trésor recelant des milliards de joyaux, mais il est également grand livre dans lequel sont inscrits des milliards de défis. Et les plus grands défis, c’est lui qui doit les relever. C’est sans moi qu’il en relèvera la majorité parce que, même autiste, il a sa vie à vivre.
Quand je m’inquiète pour lui dans certaines situations, je me fais souvent dire de ne pas m’en faire parce que de toute manière ce ne sont pas de mes affaires (rires). Il ne comprend toujours pas l’amour maternel selon moi et peut-être ne le comprendra-t-il jamais.