Autisme et colère: comment arriver à se défendre?

Par Josée Durocher

J’ai eu une longue réflexion dernièrement. Je pensais à toutes ces fois où j’ai été abusée, attaquée injustement ou agressée et je me demandais pourquoi, à 49 ans maintenant, je commence à peine à me défendre véritablement.

« Lire » l’intention de l’autre
Je sais que bien des gens se « devinent » mutuellement. Il semble tout à fait normal d’avoir cette attente dans les relations dites neurotypiques. Effectivement, sans l’admettre ouvertement, les gens ont cette tendance soutenue dans leurs relations interpersonnelles de s’attendre à ce que les autres les devinent. Surtout lorsqu’ils sont en colère.

Il va sans dire que j’ai, malgré toute ma bonne volonté, souvent tenté de deviner moi aussi les autres, mais c’est à force d’échecs que je me suis résolue à dire que je n’y excellais pas du tout. Et mon autisme fait aussi en sorte que j’ai du mal à « lire » les émotions qu’on m’envoie de même que le sens de certaines paroles sarcastiques qu’on peut prononcer également. Aussi bien dire que d’être en relation avec moi est donc aussi, en certaines occasions, un calvaire pour l’autre autant que pour moi à moins, évidemment, qu’il n’y ait pas d’attentes.

La colère et ses substituts
Une émotion avec laquelle j’ai du mal est la colère. La colère de l’autre me fait l’effet d’être un chevreuil paralysé sur l’autoroute et hypnotisé par le reflet des phares d’un véhicule qui s’approche dangereusement. Oui, elle m’empêche de réagir promptement, un peu comme si mon cerveau avait du mal à traiter cette information qui est souvent surprenante puisque je ne m’y attends presque jamais.

Ma propre colère, quant à elle, me met à l’envers pour des jours et des jours avant même que je ne sache que j’éprouve cette émotion. C’est comme si mon corps procédait au traitement de l’information avant ma tête qui tarde à l’identifier. Donc, mes actions muées par la colère sont souvent décalées dans le temps puisque je réagis comme une bombe à retardement.

Les préjugés, etc.
La croyance populaire relative aux autistes veut que nous soyons souvent sous l’influence de la colère puisque nous en faisons des crises aigües. Pour ma part, je n’ai jamais fait de telles crises et je ne connais pas d’autres autistes en ayant fait non plus.

Ce que je connais cependant, c’est mon sentiment d’impuissance quand on éprouve de la colère envers moi, qu’elle soit justifiée ou non. Ma souvent très grande incapacité à me défendre sur le coup de la colère aussi. Et ça, plusieurs femmes Asperger en témoignent : elles ne savent pas se défendre.

Mes crises à moi, si on veut absolument parler de crises, sont internes et me font terriblement souffrir. C’est donc dire que toute colère, qu’elle soit mienne ou non, est inévitablement retournée contre moi-même.

Il y a peu de temps, j’ai commencé à exprimer ma colère autrement, en la nommant. Est-il nécessaire de vous dire que les gens autour de moi ont très mal réagi (rires) ? Il est évident qu’ils ne s’attendaient pas à ce genre de réaction de ma part. Néanmoins, je ne peux pas vraiment dire que cette colère, une fois exprimée, m’a évité mes crises intestines puisque j’en ai eu pour plusieurs jours à les subir.

Une solution?
Ce que j’ai trouvé de meilleur à faire est d’étudier mon environnement et les gens qui en font partie. J’ai rapidement remarqué que la colère attire souvent la colère. C’est ainsi que les colériques qui faisaient partie de ma vie en ont été éliminés, au sens figuré, bien entendu.

Il faut dire que pour certaines personnes, la colère est un réel mode de vie. Oui, cette émotion nous envoie le message que certains de nos besoins ne sont pas comblés mais il arrive qu’on abuse d’elle en la « jouant » à toutes les sauces. Dans ce temps-là, moi, je dis non.

Depuis que j’ai fait le ménage dans mes relations, je ne suis plus ce cervidé qui attend le bruit d’un klaxon pour sortir enfin de sa torpeur. Mes relations sont saines puisque celles qui ne l’étaient pas n’existent plus.

Quand, pour ma part, j’éprouve de la colère, je me donne le temps de vivre tout ça intérieurement puisque c’est le seul chemin que je connais. Je profite de ce moment pour me calmer et tenter de voir la meilleure réaction à privilégier.

Si la colère que je ressens est dirigée contre quelqu’un, me calmer ainsi m’aide à mieux intervenir. Oui, je peux très bien être en colère et réagir calmement. L’idée ,ici, étant de s’exprimer sur ce que je ressens sans pour autant attaquer l’autre.

En conclusion
La colère est une émotion. Qu’on soit neuroatypique ou neurotypique, elle est légitime puisqu’elle est tout à fait humaine. Ce qui l’est moins est de prendre du pouvoir sur l’autre avec celle-ci.

Pour une autiste comme moi, la colère a longtemps été une ennemie me gelant sur place sans que je ne sache comment réagir. Maintenant, je la vois davantage comme une amie puisque, si elle est utilisée pour prendre avantage sur moi, je fais mourir les relations problématiques sur le champ.

Si, néanmoins, elle est vécue sainement, je suis prête à l’entendre. Dans ce cas, elle n’existe pas pour m’attaquer mais pour me renseigner. Elle devient alors une amie qui veut du bien à la relation.

Et si je la vis moi-même, tel que dit ci-haut, elle m’informe que des besoins ne sont pas comblés chez moi. Et je trouve ça très bien. Si elle me fait encore vivre toutes sortes de choses physiquement, je sais mieux la reconnaître aujourd’hui qu’avant et j’en ai beaucoup moins peur.

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