Autisme et invisibilité

Par Josée Durocher

Quand j’étais enfant, je m’imaginais des mondes fantastiques où je me sentais libre plus que tout. Ils étaient peuplés de superhéros et de superhéroïnes et, bien entendu, j’étais la grande vedette de tous ces mondes. Et l’invisibilité autistique, vous connaissez?

Un jour, je suis tombée sur une bande dessinée où le principal héros était un homme invisible. Ce fut une grande découverte pour moi. Je rêvais (et j’ai rêvé longtemps) d’être invisible moi aussi. Je fantasmais sur les tours pas méchants du tout que je pourrais jouer et les bonnes actions à la centaine que je pourrais réaliser.

Mais voilà, je n’ai jamais trouvé de potion magique ou de cape d’invisibilité pour assouvir mes instincts de superhéroïne! Je me faisais voir, moi qui ne voulais pas du tout attirer l’attention.

Je me faisais voir pour mes beaux yeux bleus, pour ma tranquillité, mon obéissance… On a beau dire, on a beau faire, quand on souhaite l’Invisibilité, c’est l’exposition qui nous souffle!

Mais, il y a peu de temps, j’ai découvert qu’une partie de moi avait été invisible pour beaucoup de gens. Il s’agit de mon autisme. Oui, je suis Asperger. Et, comme une bonne « Aspie », j’ai caché, un peu comme un vieux réflexe, beaucoup d’aspects de ce syndrome à bien du monde si vous voulez tout savoir.

Je ne le faisais pas pour jouer comme j’aimais jouer lorsque j’étais enfant, non. Je le faisais par réflexe de survie. Je me savais différente, car j’avais des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Je me situais à mille lieues des autres filles de mon âge et des gens en général.

J’ai gagné ma cape de superhéroïne parce que j’ai mis tellement d’efforts, parfois inhumains, à paraître comme quelqu’un que je ne suis pas. Malheureusement, tout ne se terminait jamais comme dans les bandes dessinées, car je me retrouvais fin seule n’ayant pas atteint l’exploit que je visais, soit celui d’être comme tout le monde. Je restais toujours l’étrange, l’hypersensible, celle qui ne pense pas comme les autres et qui, dans sa bulle, a le super talent d’écrire à la vitesse de l’éclair.

J’ai compris que j’étais en partie invisible le jour où on m’a vue dans ma globalité pour la première fois. Je me suis alors sentie toute nue, mais sans gêne ni peur, car les yeux qui me regardaient et les oreilles qui m’écoutaient ne le faisaient pas pour me juger.

Toute ma vie, je me suis battue et débattue avec le jugement des autres. J’ai fait thérapie par-dessus thérapie sans jamais arriver vraiment à ne plus m’en faire avec cela. À ce moment-là, quand on m’a reconnue lors de cette première fois, la peur du jugement des autres est aussi disparue comme par magie.

« Ils ne peuvent pas me juger, car je suis différente. Sur quoi peuvent-ils se baser pour se faire une opinion de moi? Les seuls repères qu’ils ont sont des repères de neurotypiques alors que je suis neuroatypique! »

Quarante-neuf ans. Oui, cela m’aura pris quarante-neuf ans pour saisir enfin que toutes mes différences que je cachais aux autres étaient en fait une force que je m’empêchais d’utiliser pour mon bien-être.

Aujourd’hui, je ne rêve plus d’invisibilité. Je veux qu’on me voie comme je suis réellement. Si le fait de devenir invisible dans mes rêves d’enfants me permettait de faire de bonnes actions et d’aider mon prochain, me faire voir aujourd’hui dans tout ce que je suis me permet de faire tout ça concrètement.

C’est en me faisant voir et en incitant les autres, ceux qui sont comme moi, à se faire voir aussi pour tout ce qu’ils sont, que le fossé entre les neurotypiques et les neuroatypiques et entre les autistes et les non autistes, rétrécira pour disparaître complètement un jour.

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