La glace

Par Josée Durocher

Je suis assise là, devant cette glace, à pleurer ma vie de toutes les larmes qui se font miennes. Je me regarde et j’aimerais tellement me dire qu’on a mené une étude sur moi afin de découvrir tout ce qui me fait défaut pour guérir…

J’aimerais ça, plus tard, me relever et ne plus souffrir d’anxiété. En attendant, mon cœur est mitigé : devrais-je m’engueuler ou me consoler ?

Moi, devant cette glace, je me remémore, en braillant, toutes ces fois où il n’y a pas eu de foi en moi parce que trop nerveuse, trop anxieuse. Il y a toutes ces fois, donc où j’aurais tellement aimé participer juste assez pour m’aimer. 

Mais il y a plutôt ces fois où j’ai dû m’excuser et inventer des excuses saugrenues pour ne pas me mettre à nu.

Moi, devant cette glace, j’ai envie de m’étreindre ou de m’étouffer dans mon flot de sanglots parce que je n’ai pas su assurer.

Je me raconte ces histoires où j’ai failli tout claquer, les amis, la famille. La honte était tellement grande et mon impuissance l’accotait bien comme il faut.

Qui serais-je sans l’anxiété ? Serais-je encore ici ? Même ville ? Même pays ? Ou serais-je partie à l’aventure de ma vie ?

Tellement de regrets m’envahissent, et, pourtant ! Pourtant je n’y pouvais rien. C’est ce que je raconte à mon reflet, assise là, devant la glace froide d’un miroir trop grand. C’est ce que je me dis, un peu hésitante.

D’aussi longtemps que je me souvienne, je me suis vue là, impuissante, terrassée par mes peurs, assise devant une glace qui a rapetissé avec les années parce que mon corps a grandi. Néanmoins, mes peurs n’ont pas changé, elles.

Mes peurs sont les mêmes ou me font vivre les mêmes émotions depuis que je suis toute jeune.

Moi, devant cette glace, j’ai peur. J’ai peur maintenant qu’un jour personne n’ose plus me croire quand je raconte que ces phobies sont viscérales, ces scénarios catastrophe et tout ce que l’anxiété me fait voir ou ressentir le sont aussi.

Si tu passais derrière moi, assise devant cette glace, tu ne verrais que moi, assise là à pleurer. Mais moi, quand je regarde mon reflet, je vois mon anxiété, elle, bien plus grande que moi, qui prend presque toute la place.

Elle a toujours été plus grande et plus grosse que ce que je parais. C’est ainsi, on n’y peut rien changer. Et ces fois où c’est moi qui gagnais en superficie… elle se penchait vers moi en me chuchotant que ce sera toujours elle qui aura le dernier mot, de toute manière.

Moi, devant cette glace, je ris tout à coup ! Je me dis : « en voilà une vie de perdue à se battre contre un truc qui prend forme et qui n’est vu que par moi ! » Et soudain, je soupire.

Je soupire, car je n’ai plus la force de crier ma haine de la voir toujours gagner. Reste que, moi, devant cette glace, j’ai un pouvoir qu’elle ne soupçonne pas.

Je peux encore tout décider et l’ennemie ne s’en sortira pas en un seul morceau. Moi, devant cette glace, malgré mes dents serrées, je vais l’aimer.

Je vais l’aimer si fort puisqu’elle fait partie de moi et je vais l’aimer avec empathie. Il faut vraiment être en manque d’attention pour m’avoir prise en otage toute ma vie !

Mon anxiété, ce soir, devant cette glace, je t’embrasse. Je t’enlace, car sans toi jamais je ne saurais quelle guerrière je suis. Sans toi, je ne connaîtrais pas la patience du temps de la guérison et sans toi, je n’aurais certes pas autant d’imagination.

À toi, devant cette glace, je dis tout en me relevant : « reste assise là et pleure ta vie aussi, c’est ton tour maintenant et moi, je vais t’aimer si fort, que cette foutue glace va briser !

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