La sémantique du cœur d’une Asperger
Par Josée Durocher
Je vous invite à lire le portrait de celle pour qui la sémantique actuellement utilisée pour désigner les personnes autistes et Asperger fâche et qu’elle considère être une maltraitance à leur endroit. Cela lui tient donc particulièrement à cœur d’éveiller les consciences sur ce sujet.
Elle, qui est originaire de la France, vit au Québec depuis un peu plus de onze ans. Isabelle n’a pas eu une vie facile mais elle toujours su trouver la force en elle pour se relever à chaque fois.
Celle qui a obtenu un doctorat en Sciences humaines appliquées à l’Université de Montréal, se décrit comme « peintre des mots ». Ces mots qu’elle met en scène dans Valses Fantômes, son premier recueil de poèmes publié à Paris en 2000…
Ces mots qu’elle met aussi au service d’auteurs, en ayant par exemple révisé l’intégralité de l’ouvrage Le profil Asperger au féminin : caractéristiques, récit et guide d’évaluation clinique, co-écrit par Dre Isabelle Hénault, psychologue, directrice de la Clinique Autisme et Asperger de Montréal et Annyck Martin, auteure (Éd. Chenelière Éducation). Elle y a d’ailleurs aussi partagé un témoignage vibrant.
Avec La Plume Savante qu’elle a créée l’été dernier, elle propose ses talents d’écriture à un plus large public.
Elle est cool, dynamique, immensément intelligente, spontanée, curieuse, créative, soucieuse du mieux-être des autres et toujours à l’écoute. C’est une fille carrément géniale !
Aider les autres
Nous avons discuté de sujets lourds… Il n’est pas toujours facile de poser des questions ou de recevoir des réponses. Je crois que ce qui m’interpelle le plus dans ma rencontre avec Isabelle, c’est tout le courage dont elle fait preuve et dont je me suis rendu compte en parlant avec elle.
Il faut dire que, d’entrée de jeu, l’idée de ce texte est d’aider les autres, et c’est dans cette perspective qu’Isabelle m’a accordé une entrevue. Elle a reçu un diagnostic tardif d’Asperger. Elle, qui avait déjà un diagnostic de douance, n’a pas vu là quelque chose de positif, du moins au début.
Comme elle l’exprime, le diagnostic d’Asperger l’a « démolie mais a su expliquer des choses que la douance ne permettait pas d’expliquer ». Comme elle le souligne également « cette étiquette d’autisme, vectrice de tant de préjugés et de morbidités au sens littéral du terme, je ne pouvais pas l’accepter! Mon génie qui était le revers lumineux d’une face se transformait en une face sombre de préjugés sur l’autisme : les crises, le mutisme, être dans sa bulle… tout le négatif sur l’autisme. Je me suis pris ça en pleine gueule. »
Elle dit rejeter son autisme et confie « qu’en adoptant la couleur identitaire Asperger, cela représentait une échappatoire à l’autisme. En m’appropriant mon identité d’Aspie, je me réappropriais mon autisme : j’étais AspIsa ; j’étais une Asperge… »
Asperger
Cette identité d’Asperger, elle se l’est donc appropriée à sa manière. Elle a beaucoup lutté contre le poids d’une identité difficile à assumer, passée volontairement sous silence. Aujourd’hui, « cette couleur identitaire d’Asperger est beaucoup plus puissante que moi! Elle m’investit toute entière en une teinte de douce excentrique, de douce dingue… » ou comme ce que je me dis à moi-même pour me décrire, une belle folle, elle a tout ce qu’il faut pour venir en aide aux autres ne serait-ce qu’avec ses mots.
Elle qui souhaite faire une différence dans la vie des gens a accepté divers partenariats de la communauté de l’autisme. Ces collaborations lui ont beaucoup apporté au plan personnel et l’ont également aidée à reprendre goût aux autres et en la vie.
Isabelle confie que ce qui la motive « sont l’amour et la colère ». Aussi, sa colère face « à la sémantique négative, pathologisante et infériorisante » trop régulièrement utilisée par les médias pour décrire l’autisme et les personnes autistes : « trouble cognitif ; trouble du spectre de l’autisme ; personne handicapée ; autiste ; atteinte d’Asperger… », l’a décidée « à prendre le glaive pour lutter contre ces mots qui font mal.»
Cette auteure au grand cœur se dit « en révolte face à ces terminologies dénigrantes qui écorchent une identité qui m’est devenue chère. Je ne suis pas une personne handicapée! je ne suis pas non plus une personne troublée cognitive! Je ne suis pas une personne déficiente!!
Je suis quelqu’un qui a été capable d’obtenir un doctorat. Et même si, au quotidien, j’éprouve des défis et des souffrances spécifiques reliées à ma condition d’Asperger, je suis fonctionnelle, autonome, travaillant à temps plein dans un milieu difficile. Et, en tant que personne à part entière, j’ai toute ma place dans la société! Par le seul fait de mon existence, j’aimerais faire voler en éclats les mythes et préjugés sur l’autisme et l’Asperger. »
Sensible et empathique, elle est, dans son milieu de travail, une des seules neuroatypiques à donner du temps pour faire de l’écoute active auprès de ses collègues.
Des étiquettes
« En posant des étiquettes dévalorisantes qui stigmatisent des populations, ça dilue leur individualité, leur humanité. Je ne veux pas que ce que je suis en tant qu’être humain soit dilué dans des étiquettes! L’humain doit être au cœur des préoccupations. »
En acceptant de « se laisser approcher en tant que personne neurodiverse, parce que cela a été fait de manière douce, intelligente et respectueuse, que ce soit par des professionnels.elles en santé mentale ou des chercheurs.es, notamment Dre Isabelle Courcy, sociologue, j’ai pu réaliser des choses concrètes pas seulement pour moi, aussi pour les autres. Mais, surtout, cela m’a permis d’affirmer davantage une individualité sans cesse malmenée par les mots. Mes combats contre une sémantique nocive, les mythes et les préjugés sur l’autisme et les personnes autistes contribuent plus que jamais à redessiner ma place dans ce monde. »
Soucieuse d’aider les autres grâce à son expérience personnelle et sa solide formation académique, elle a accepté, en tant qu’intervenante-formatrice, d’intervenir auprès de groupes communautaires œuvrant à l’amélioration de la santé mentale. Désireuse également d’apporter une contribution pertinente aux étudiants.es autistes et Asperger, par ses talents de plume elle signe en tant qu’auteure principale le Guide d’accompagnement pour les étudiants autistes et Asperger, écrit en collaboration avec Dre Isabelle Hénault. Dans ce guide, elle offre de nombreux trucs et astuces concrets qui, à n’en pas douter, pourront être d’une aide précieuse.
Celle qui a vécu énormément d’épreuves dans sa vie est debout, solide et forte. Tout n’est pas guéri, mais bon sang qu’elle est inspirante. Elle me rejoint dans ses propos, dans sa manière de défendre les bons termes et par son humour décapant.
« J’ai boité ma vie depuis que je suis née! C’est comme ça, je boîte ma vie! , me dit-elle. Et ces mots résonnent en moi très fort. Mais comment avoir « boité » toute sa vie et devenir aussi lumineuse aujourd’hui ?
Isabelle souhaite que son parcours et son témoignage puissent aider et inspirer. En acceptant d’être interviewée aujourd’hui, elle exprime sa crainte « d’être lapidée par le regard meurtrier que porte encore la société sur l’autisme et les personnes autistes. Mais ces visions assassines ne parviendront jamais à défaire qui je suis! Alors bas les masques!! Rappelons-le, l’autisme n’est ni une maladie, ni une lacune identitaire… C’est une condition neurologique, certes, mais c’est avant tout une condition humaine. »
Parce que nous ne sommes pas à l’abri d’embûches et de tempêtes, il est toujours utile d’innover dans l’art de s’outiller que ce soit à l’aide de nouvelles lectures et/ou d’histoires inspirantes… comme celle d’Isabelle Queyroi!
Valses Fantômes est épuisé et actuellement en cours de réédition avec une maison d’édition québécoise
Le livre d’Isabelle Hénault et Annyck Martin est disponible en librairie et sur Amazon
Le Guide d’accompagnement pour les étudiants autistes et Asperger est disponible gratuitement sur simple demande à son adresse courriel : iqueyroi@yahoo.ca